ANDRÉ SCHMITTER

Nicolas - Par où commencer

10 Mars 2016

Par où commencer, puisque rien ne finira.
De ceux qui ont connu papa, aucun ne pourra l'oublier. Qui peut oublier une légende ?
À force de la défier, il nous avait portés à croire que la grande faucheuse s'était lassée de lui.
Il aurait pu disparaître quand, enfant démuni de l'amour de sa mère disparue, il errait dans les rues d'Oran.
Quand, à 17 ans en 1943, chassé par son père, il était parti en Angleterre s'enrôler comme pilote de chasse dans la Royal Air Force.
Quand, engagé dans l’Aéronavale après la guerre, il appontait sur des croiseurs transformés en porte-avions, dont la brièveté des ponts d’envol a tué de nombreux compagnons.
Il a été qualifié de pilote de classe exceptionnelle par ses pairs.
Pour l'amour d’Eliette, et écoutant sa future belle-mère, qui trouvait ses missions de 15 jours trop longues pour les attentes de sa fille, il avaitrejoint l'Institut Géographique Nationale en 1953. Ironie de son destin de jeune marié, sa première mission dura six mois.
Ses vols à 30000 pieds, sans pressurisation et nécessitant le port du masque à oxygène pendant des heures étaient physiquement durs, etnerveusement éreintants. Et non dénués de danger.
Enfants, nous l’avions vu poser son B 17 à la base de Creil, une hélice en drapeau. Il était notre héros.
Il aurait pu disparaître quand, dans sa carrière à Air Afrique, il sauva du crash puis d’un incendie les passagers de ses avions de ligne. Il a débuté sur biplan et a terminé sur Boeing 747.
Les éléphants auraient pu le mener dans leur cimetière. Il les avait chassés, et il l'avait regretté quandun amour de petite chienne lui avait dernièrement touché le cœur.
Il a aimé l'Afrique, de toute son âme, pour tout son art; il avait aussi acheté une plantation de café au fin fond de la Centrafrique. Elle brûla.
Comme Karen Blixen, il a pu dire « j’avais une ferme en Afrique ». Pendant quelque temps, il a conservé la douloureuse nostalgie des espoirs perdus d’une retraite au cœur de son Afrique.
Puis sa curiosité insatiable s’est tournée vers d’autres passions.
De tous les objets qu’il a collectionné, il savait l’histoire et disait l’émotion toujours renouvelée qui l’avait amené à les acquérir. Ses objets vivaient dans ses mains, il leur donnait son âme en les polissant comme Aladin sa lampe.
Pour tout et pour chacun, il avait une histoire, un conte de cette vie.
Son don était le charme magique du Griot. Celui des contes sans cesse renouvelés par le moment, l'auditoire, et une drôlerie innée.
Pour nous enfants, ses récits d'Afrique sentaient le brûlis des champs de sorghos, et la mangue de l'arbre à palabres ; ils étaient teintés d’indigo, d’ivoire et de latérite. Ils avaient la hauteur de la paille à éléphant.
Nous y entendions toutes les palpitations de la brousse.
Ses paraboles embellissaient les mélopées africaines, enchantaient le rire de maman et berçaient nos âges tendres.
Il n'était la risée de personne, mais il était lebouffon désigné de ses histoires.
Et tout le monde riait.
Le commandant a pris son dernier vol vendredi, avec sa casquette sous le braspour ne pas être décoiffé.
Car il était élégant, enveloppé des volutes de fumée bleues, et jusqu'au bout il est resté chic.
Ses derniers mots prononcés sont la traduction du Sango centrafricain: « Mbi aïké Mbi: Il a dit : « Je suis Moi ».
Car son credo était : "A moi seul". C’était son panache blanc. Qui finalement nous ralliait à lui. Car il était d’une grande générosité pour tous et il a beaucoup donné à tous, simplement, anonymement souvent.
Truculent, excessif dans ses propos parfois, mais si sensible au fond. Il a été aidé et soutenu toute sa vie par notre mère Eliette. Et il lui savait infiniment gré d’avoir pu vivre si intensément.
« La seule femme que j’aurais jamais épousée » était son autre credo.
Passionné et passionnant il a, par ses narrations d’une verve jubilatoire, partagé toute sa vie à qui voulait accueillir ses paroles. À tous il livrait, entier, des récits de légende. Et entier il restera dans nos mémoires et nos cœurs.
Il s’appelait Dédé, André, Papa, Commandant, Monsieur, Marche ou crève, Le Blanc, le Vieux, Monsieur Rambo, Oncle André, et Némo.

Henri Peignen - les bons moments

8 Mars 2016

Des parties de tennis de dingue à l'hôtel ivoire, on te surnommait "le bombardier " ton rire plein de générosité rebondissait sur le mur de l'hôtel, adieu seigneur, tu resteras inoubliable....

Eléa - A toi seul

8 Mars 2016

Digingdigingdiging. La porte verte s’ouvre sur le plus beau des blancs. Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu non ? Embrassons-nous très fort. Je monte les quelques marches de marbre clair, la chaude et familière odeur provenant de la cuisine m’enveloppant déjà.
Je t’entends, en haut. Le plancher craque, Mamette t’appelle. C’est à peine si le rideau de douche vole encore. André ? Quelques pas étouffés sur la moquette bleue indiquent ton empressement. Des portent claquent, d’autres grincent. Silence. Que fais tu là haut ? As tu décroché la pagaie qui orne le mur pour remonter quelques rivières de pensée ? T’assois-tu sur chacun des tabourets dans l’escalier ? Je pense que tu as déployé tous tes tapis, et que tu -as finalement réussi à en choisir un. Nous nous asseyons tous au salon. Je regarde par la fenêtre. Est ce que toi aussi tu observes la lisière de la forêt où quelques éléphants se font gentiment rougir ? Ou repenses-tu à de vieux souvenirs, ces moments où je te vois t’évader un instant dans un sourire spleenétique. Tes pas s’agitent, les semelles de tes beaux souliers délassent le parquet fatigué. Tu sembles tourner, te retourner, hésiter, t’énerver peut-être. Silence. Némo ? On m’a toujours dit de ne pas monter te déranger. Te prépares tu à décoller à bord de ton Spitfire sur la terrasse ? Discutes-tu avec tes vieux amis qui n’ont jamais trop causé, ces poupées sévères qui t’ont toujours fasciné. Je crois entendre tes doigts sculpter lentement ta Gitane. Réprouvée de tous à la fin du repas, elle savait pourtant envelopper tes histoires d’un énigmatique voile bleu ourlé. Je reste là à t’écouter. Alors ? Qu’as tu choisi ? Doublure Violette et Orange du messager. Ta vie est ton allure. Libre de tes mouvements, audacieux et virtuose à l’accord parfait. Nous sourions doucement. J’ajuste quelques mèches dans mes cheveux, je tire un peu ma robe, une jolie honte me guète, tu seras encore le plus élégant de nous tous. André ? Je commence à croire que tu t’entraînes encore a danser. Et hop. Et hop. Silence. Némo ? As tu enfin rangé tes sabres et trouvé la paix ? Nous t’attendons. Tu dois maintenant baigner dans la lumière bleu cyan de la salle de bain sur le palier, tu te parfumes d’un peu de patchouli. Enfin, je t’entends dérouler les marches et nous rejoindre.
Silence.
A toi seul tu rythmes la maison. A toi seul tu fais résonner tous les bois. A toi seul tu réveilles toute l’Afrique qui t’entoure, et qui t’habites. Je me lève, et je t’attends.